Comme beaucoup, j’imagine, je suis déjà passé par plusieurs phases dans mes jugements péremptoires sur ce qu’est devenu l’IA depuis l’apparition des grands modèles de langage (LLM).
Essayons donc de décrire mon évolution à ce sujet, en espérant que je pourrai relire cet article dans quelques années sans avoir trop à en rougir.
C’est formidable
Ma première réaction fut assez enthousiaste : ne suivant pas les développements technologiques dans ce domaine, je ne m’attendais pas à ce qu’il soit possible de sitôt de converser ainsi librement avec une machine, en obtenant des réponses crédibles.
Pourtant, en y réfléchissant aujourd’hui, je me dis que les progrès remarquables de la traduction automatique dans les années qui précédaient, annonçaient clairement une révolution à venir dans la production de textes.
Je commençai par passer un peu de temps à jouer avec et à en parler autour de moi, assez surpris de ne trouver souvent qu’une indifférence polie, voire parfois une hostilité immédiate : le développement d’une IA textuelle semblait d’emblée menaçante pour certains — qui n’avaient pas forcément tort en prévoyant des impacts sociaux très rapides et pas forcément désirables.
C’est nul
Vint ensuite une phase de déception relative et de critique.
D’une part, en tant qu’enseignant de lettres, toute utilisation professionnelle de l’IA pour me faire gagner du temps (rédaction de cours ou d’exercices de grammaire) était limitée par la pauvreté du rendu et les nombreuses erreurs et absurdités engendrées. Je me souviens par exemple que ChatGPT ne se trompait jamais sur l’orthographe d’un accord, mais était capable de citer une règle impliquant un accord qui contredisait son choix orthographique.
Il pouvait par exemple écrire « ils se sont dit » tout en expliquant que dans cet exemple avec l’auxiliaire être il fallait accorder le participe passé avec le sujet du verbe.
Comme toujours dans ces cas-là, il s’excusait quand on lui en faisait la remarque, tout en recommençant de plus belle.
Sur un plan plus créatif, il était aussi très facile aussi de le prendre en faute. Si on essayait de lui faire écrire un sonnet, le sens était à peu près correct, mais il lui était impossible de ne pas faire d’erreur concernant les rimes ; quant à leur disposition et au mètre…
Si on essayait de lui faire résumer un livre, on se retrouvait avec quelque chose d’à la fois vague, très partiel et faux : des personnages inventés, le récit limité au début du livre etc.
Bref, c’était épatant pour quelqu’un qui ne maîtrisait pas le sujet, moins pour les autres.
Pour ce que j’en comprenais par ailleurs, il était difficile pour ceux qui mettaient en place ces technologies de comprendre pourquoi le modèle ne fonctionnait pas correctement.
Les réponses étant fondées sur l’utilisation statistique d’un corpus d’une taille inhumaine, difficile de comprendre comment se fabriquaient les hallucinations.
Les impacts négatifs de cette technologie furent aussi assez immédiats concernant l’attitude des élèves face au travail à la maison.
Certains rendaient des exercices d’application d’un cours, sans mention de ce cours, mais en produisant des réponses aussi longues que vagues et creuses.
Évidemment, interrogés à ce sujet, ils étaient incapables d’expliquer le sens de ce qu’ils avaient écrit.
Les exposés étaient aussi parfois très baroques, avec des développements sans rapport avec le sujet et des élèves incapables d’expliquer ce que cette partie faisait là.
Quand enfin, je voulais résoudre un problème de programmation en Python ou en LaTeX, l’amateur que je suis ne trouvait pas grand chose d’intéressant dans les réponses de ChatGPT.
Il proposait en gros de faire les choses entièrement différemment, et non de corriger le problème de mon code, qu’il était en général bien incapable d’expliquer.
Quand on mettait ceci en parallèle avec les investissements entrepris et l’impact environnemental de ces technologies, on ne pouvait que rester dubitatif et sceptique.
Étais-je donc le seul à considérer que cela ne marchait pas vraiment ?
Par ailleurs, certains ingénieurs, comme Luc Julia, expliquaient qu’il était à craindre que la qualité des productions des IA ne fasse qu’empirer quand le corpus qu’elles utiliseront sera en partie composé de textes déjà produits par IA, du fait de la présence de plus en plus marquée de textes produits par IA sur le web.
En se nourrissant de ses propres productions, elle s’éloignera encore davantage du modèle humain souhaité.
C’est quand même bien utile
Puis arrive le mois de juillet 2025.
J’ai quelques problèmes informatiques à régler, qui m’ennuient parfois depuis longtemps : routage IPv6 de mon modem-routeur, connectivité parfois défaillante au redémarrage d’un de mes serveurs, utilisation de rspamd pour gérer DKIM, erreur de compilation LaTeX de certains tableaux depuis une mise à jour du paquet tabularray.
Comme on m’a conseillé d’essayer Perplexity, et que je profite des vacances pour essayer de régler ces problèmes, j’interroge Perplexity quand je ne trouve pas de solution sur le web.
Et là, le résultat est parfois un peu humiliant !
Alors que je viens de passer deux heures à lire de la documentation et des blogs pour mettre en place le DKIM dans rspamd, une simple question à Perplexity m’apporte la solution instantanément.
Du coup, je me mets à l’interroger concernant les autres problèmes à régler et le bilan est très largement positif.
Utilisé comme un moteur de recherche amélioré, l’outil est particulièrement performant : il permet de compiler et de résumer l’ensemble des informations disponibles sur le web et fait gagner beaucoup de temps.
De plus, il permet aussi de gagner en assurance : on a moins tendance à se dire qu’on a pu négliger une partie du problème qu’on ne connaît pas ou à laquelle on n’a pas pensé.
Les procédures de vérification permettent de faire le tour des problèmes connus, avec une certaine certitude : par exemple, si le modem est bien configuré de telle et telle manière, que le serveur a bien tel ou tel port ouvert et que nous pouvons vérifier qu’aucun paquet n’arrive jusqu’au serveur grâce à telle procédure, alors le problème ne vient probablement pas de chez moi.
Le fait qu’il cite tous les sites consultés pour préparer sa réponse permet d’aller plus loin et de mieux comprendre la situation.
Dans la vie quotidienne, son utilisation peut aussi permettre de gagner du temps.
J’arrivais cette semaine dans un petit village de la Meuse où je me mets au vert chaque mois d’août.
Or cette année, les routes sont défoncées par de larges tranchées et les maisons couvertes de poussière.
Interrogé, Perplexity m’explique aussitôt qu’il s’agit de travaux de collecte des eaux usées, liés à la construction d’une station d’épuration et que les travaux vont encore durer quelques semaines.
Il cite les différents documents officiels qui annoncent ces travaux.
J’aurais certainement pu trouver une réponse grâce à un moteur de recherche, mais la démarche aurait été beaucoup plus laborieuse, car les liens renvoyés par le moteur n’auraient pas tous été pertinents, loin de là.
Je reste en revanche très perplexe devant les erreurs grossières du logiciel :
- l’outil peut tout à fait demander d’utiliser une option qui n’existe pas pour la commande utilisée, sous prétexte qu’elle existe pour une autre commande sous une autre plateforme ;
- il m’a demandé d’installer et de configurer unbound sur FreeBSD puis a donné des instructions pour lancer local_unbound; j’ai imaginé qu’il s’agissait d’un des lanceurs possibles de l’application, alors qu’en fait c’est un programme disponible par défaut (donc qui ne s’installe pas) et dont les fichiers de configuration sont situés ailleurs. Beaucoup de temps perdu, puisque mes modifications de la configuration n’avaient aucun impact sur le programme lancé — et pour cause…
- il peut se tromper en inversant une adresse IPv6 pour le reverse DNS : le début et la fin sont corrects, mais les chiffres du milieu sont trop nombreux, et inversés par deux. Comme je n’avais pas vérifié en détails, cette erreur m’a fait perdre une bonne heure !
Bref, un outil qui fait gagner du temps dans certains cas, si on est assez vigilant pour ne pas en perdre…