Gopher et les Pubnix, retour vers le futur

J’ai découvert cette année un protocole et une communauté qui s’accordent bien avec mon goût pour le minimalisme des interfaces technologiques : Gopher et les Pubnix.

Gopher est un vieux protocole qui peut paraître désuet en 2019 du fait de ses limites :

  • Pas de liens dans les pages de texte elles-mêmes, mais seulement dans les menus de l’arborescence qui les précède.

  • Pas d’images dans les pages de texte, mais seulement comme des documents téléchargeables depuis les menus de l’arborescence.

  • Pas de support sur les navigateurs Web d’aujourd’hui, si ce n’est par une extension à ajouter.

  • Pas de chiffrement TLS.

  • Aucune mise en forme du texte disponible : les fichiers sont du pur txt.

En fait, il ressemble un peu à du FTP amélioré pour permettre une navigation plus fluide entre les différentes pages d’un serveur et entre les différents serveurs.

Pourquoi donc s’intéresser à une telle vieillerie ? Tout ce que Gopher peut faire, le Web le peut aussi, et de manière plus riche et facile.

Oui, mais le Web est devenu sous bien des aspects un « machin » hors de contrôle pour l’utilisateur. Lorsque j’ouvre une page Web sur mon ordinateur :

  • Le navigateur communique en réalité avec parfois plusieurs dizaines de sites, pour charger une police, une image, une vidéo, une publicité, un compteur de visites etc.

  • Le navigateur écrit sur mon ordinateur nombre de cookies sans lesquels de nombreux sites ne fonctionneront pas correctement. Ceux-ci leur permettent de tracer les utilisateurs et de générer des données les concernant.

  • Le navigateur exécute par défaut des scripts sur ma machine, à moins d’installer une extension pour l’en empêcher. Ces scripts peuvent faire beaucoup de choses que je ne souhaite pas, mais nombre de sites ne fonctionneront pas si je ne les active pas. À moins de les lire un à un, il me faut faire globalement confiance à une industrie qui n’a pas brillé par son respect des utilisateurs ces dernières années.

  • Il arrive même que le navigateur se mette à télécharger puis lire une vidéo ou un extrait musical de son propre chef, que ce soit à des fins publicitaires ou non.

Bref, naviguer sur le Web est de nos jours un double renoncement : renoncement à la maîtrise technologique et renoncement à la vie privée.

Si Gopher protège de ces travers, c’est en grande partie à cause de son échec : sa technologie n’a pas vraiment évolué depuis le milieu des années 1990 et il n’a plus été utilisé pour vendre quoi que ce soit depuis.

Si ses limitations peuvent paraître frustrantes, il ramène un peu d’efficacité dans la navigation en permettant de se concentrer sur le texte lui-même et en limitant un peu la sérendipité, enrichissante et agréable en soi mais qui limite parfois l’efficacité de la navigation sur le Web en éloignant l’internaute de son intention initiale.

Les outils que j’utilise pour naviguer sur Gopher, Lynx et VF-1, participent aussi de cette frugalité technologique, d’autant que le fait qu’ils s’utilisent en console permet d’interrompre et de reprendre la navigation là où j’en étais en les lançant dans un tmux sur mon serveur, fonctionnalité que les navigateurs graphiques implémentent avec une certaine lourdeur.

J’ai donc ouvert un Gopherhole qui abrite une version texte de mes blogs à l’adresse suivante : gopher://gopher.nappey.org

Ce lien ne peut être ouvert qu’avec un navigateur compatible ou à travers un proxy.

J’ai aussi découvert les Pubnix, des Unix publics dont on peut devenir utilisateur et qui abritent entre autres un serveur Gopher. J’ai choisi republic.circumlunar.space, mais il en existe bien d’autres : sdf.org, tilde.town etc.

Ces communautés sont un peu des contre-réseaux sociaux. Par la taille d’abord, seulement quelques dizaines d’utilisateurs, un peu plus pour les plus gros. Par les principes ensuite, puisque les outils sont libres et co-développés au maximum par les utilisateurs. Ainsi, sur circumlunar.space, le BBS qui permet de communiquer entre utilisateurs, Telem, a été développé localement en Lua.

Si Mastodon est libre et décentralisé, le rapport de ses utilisateurs à l’outil reste globalement le même qu’avec Twitter, même pour ceux qui s’auto-hébergent. Rares sont ceux qui participent au développement ou font évoluer l’outil. Ici, il s’agit bien d’un réseau collaboratif, où les utilisateurs se connaissent et sont acteurs de leur réseau. Ça ne résout pas tous les problèmes des réseaux, mais cela rend les solutions beaucoup plus souples et adaptées : chacun peut par exemple donner son avis sur les informations qui peuvent être publiquement visibles, celles qui ne seront visibles que des autres membres de la communauté et celles qui doivent rester invisibles.

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